Enfin ! j’ai la parole… Vous avez entendu parler de moi, tout le monde s’extasie sur mes formes, mais jusqu’à présent je n’avais pas pu m’exprimer sur cette aventure. Certes mes deux passagers évoquaient bien ma présence, mais de manière quand même limitée. Donc, aujourd’hui les Jojos ont compris qu’il fallait me donner la parole et je ne vais pas me gêner pour dire tout ce que j’ai sur la « patate » (ou plutôt « sous la pédale » ?).
Mes deux aventuriers l’ont bien compris, le véritable héros c’est moi. Sans cet engin bizarre, il n’y aurait pas eu ces deux grandes randonnées : vers Copenhague en juin et vers Lisbonne en septembre. Pire, ils ont bien constaté – eux qui se gaussaient de l’admiration des gens sur leur passage, que dès qu’ils redevenaient simples piétons, plus personne ne se détournait sur leur passage : ils retombaient dans l’anonymat le plus complet.
Allons, je m’égare un peu… Je suis chargé de faire le bilan de ce second tronçon : Cognac – Lisbonne, donc venons-y.
A présent que j’ai retrouvé ma place dans la remise à vélo, je me remémore ce très beau mois de septembre côté météo. Sur la route, nous n’avons vraiment rencontré la pluie qu’à la fin de notre traversée des Landes : une belle averse orageuse dont nous nous souvenons tous les trois mais qui sera sans lendemain. L’Espagne et le Portugal ont été fidèles à leur réputation de pays ensoleillés et secs, même si quelques averses sont arrivées une fois l’étape terminée, comme à Mondonedo (en Galice) où une violente averse est survenue alors que mes passagers se trouvaient sous le porche de la cathédrale. Donc, du beau temps, des températures rarement en-dessous de 17° au départ le matin et, aussi, jamais insupportable, sauf lors des premières étapes, notamment en arrivant à Bordeaux sous 37° !
Contrairement à juin, pas de pépins mécaniques avec moi. J’ai tenu le choc : aucune crevaison ou incident majeur. Seulement 3 rayons de cassés sur la roue avant, et – les malins – ils ont changé, par anticipation, les plaquettes de frein lors de l’arrêt à Santiago. Mais, bizarrement, cela ne leur a pas trop réussi car, après, le disque « couinait » furieusement dans les grosses descentes, ce qui les inquiétait vivement et calmait leurs ardeurs : plus de vitesse maximum à 65 km, mais seulement autour de 50-55... Un mécano à l’ancienne les a rassurés en huilant légèrement les plaquettes, pour autant le bruit n’a pas disparu…
Sans doute, est-ce parce qu’ils ont su me ménager que je n’ai pas craqué physiquement. Et pourtant, waouh, rien à voir avec les plats pays traversés en juin. A partir du pays basque, cela ne faisait que monter et descendre et parfois rudement. Je ne m’imaginais pas capable de franchir de telles pentes et pourtant, assez rarement, j’ai eu la honte de devoir être poussé à la main par les Jojos qui, dans ces circonstances soufflaient comme des bœufs ! Je me disais : « Ils vont clamser ! à force de pousser les 60 kg de l’attelage. » Heureusement, cela n’est pas arrivé trop souvent, mais il suffit d’une fois.
Une promesse de départ a été tenue, ce qui explique que j’ai aussi bien tenu le choc sur ce 2ème tronçon. Elle concerne la distance journalière qui tournait autour de 80 – 85 km, alors qu’en juin la moyenne était de 100 km par jour. C’est d’autant plus appréciable que la route pentue exigeait plus d’efforts.
Mais ce qui a été encore plus agréable cette fois, ce sont leurs arrêts réguliers, qui permettaient à tout le monde de se reposer et de récupérer. Moi j’ai adoré. Certes, je ne profitais guère de ces arrêts, car le plus souvent, ils m’attachaient avec l’antivol à une fixation quelconque. Et parfois, je pestais, lorsqu’au retour, je les entendais s’extasier sur les découvertes et magnifiques panoramas qu’ils venaient de voir. Parfois, cependant, j’avais droit aussi au même point de vue qu’eux, notamment lors de l’arrêt pique-nique du midi. Et j’ai donc été gâté aussi.
Je leur suis reconnaissant également de la prévenance à mon égard lors de chaque halte du soir. Jocelyne, qui était chargée de faire les démarches lors de l’accueil, ne manquait jamais de demander où je pouvais être stationné en toute sécurité. Il est même arrivé un soir que je dispose de ma propre chambre dans un hôtel près de Bilbao. Le pied ! Et dire qu’ils n’ont même pas pris de photo pour illustrer cet événement.
Dans ces conditions idéales : beau temps, pas d’incidents, rythme assez cool, que de belles découvertes et de belles rencontres ont jalonné ce parcours.
Jamais, je n’étais aussi fier que lorsqu’une personne s’approchait et demandait aux Jojos s’il elle pouvait me prendre en photo. Mais pourquoi ne s’adressait-t-on pas à moi directement, comme si j’étais un majeur incapable… Bon je pestais un moment, puis je montrais mon plus beau profil avec grâce ; quand même je sais vivre !
Là où Jocelyne et Joël m’ont amusé, c’est lorsque – une fois arrivé au Portugal – ils ont découvert que les Portugais levaient le pouce en voyant notre attelage. C’est Joël le premier qui a parlé de « like ». Et Jocelyne a cherché à dénombrer combien de « likes » nous obtenions chaque jour. Elle s’est arrêtée à 100, mais le nombre est sans doute supérieur, notamment lors de la traversée d’une grande ville. Nous avons le don de surprendre, étonner, amuser avec cette machine assez improbable et au-delà des likes, combien de sourires, de mots d’encouragement, ou des fous rires en cas d’échange. Surtout, lorsque les interlocuteurs demandaient s’il fallait pédaler tous les deux, alors Joël – par un geste bien précis – montrait que Jocelyne dormait devant… Au début, la passagère n’appréciait que moyennement et puis elle s’y est faite.
Ou encore, quelle rigolade lorsque, expliquant leur projet dans un « sabir » franco-anglo-espagno-portugais, Jocelyne terminait souvent son propos en disant que nous avions tout notre temps et surtout « We are young ! ». Il fallait voir les gens se marrer (quoi c’est pas vrai ? mais moi j’ai moins de 10 ans…), rire plus ou moins jaune selon leur âge.
Plus sérieusement, c’est une impression de symbiose qui me revient à l’esprit en songeant à tous ces kilomètres parcourus. Jamais de heurts, quelques découragements parfois, parfois aussi des divergences sur le trajet à emprunter, alors même que le GPS fonctionnait en permanence. Et le plus drôle à ce sujet c’est que ni Joël ni Jocelyne ne sont à l’aise avec la droite et la gauche. Combien de fois, j’ai rigolé quand Jocelyne disait « A gauche » et que Joël tournait à droite suivant le geste de son épouse, qui lui était le signal fiable. Ils ont réellement des problèmes avec la latéralité. Si cela peut s’expliquer pour Joël (gaucher contrarié), c’est plus subtil pour Jocelyne, qui dès le CP s'était entrainée à utiliser ses deux mains pour écrire...en cas de problème.
Nous voici de retour à Cossé-le-Vivien. J’ai retrouvé la tranquillité de mon hangar à vélos. Et je réfléchis à la prochaine campagne que les Jojos projettent pour 2023. En juin, ils envisagent les îles britanniques et en septembre le sud Portugal, puis le sud de l’Espagne pour remonter jusqu’à Barcelone.
Pour ma part, je ne connais pas le pays des rosbifs, mais bon j’imagine que cela doit aussi être beau et plaisant, surtout qu’ils envisagent de sillonner l’Irlande et l’Ecosse, dont j’ai déjà entendu parler par des collègues à deux roues…
Une chose est certaine, je vais devoir travailler mon « british » et – surtout – m’habituer à rouler à gauche. Et c’est pas gagné avec mes deux zozos (euh pardon Jojos !) qui ne savent pas distinguer la gauche de la droite…